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Louise, l'atelier
12 août 2009

Journal de vacances (Récit, 6)

Trier. Jeter, garder. Conserver. Ça, oui. Non. Quoique. Ça pourrait peut-être encore servir. Peut-être. Oui, mais tout de même, ça encombre. Et puis c'est vraiment vieux. De vieux sabots. Oui, ils appartenaient à mon père, mais il ne les remettra plus. Il ne reviendra plus. Qu'est-ce que je fais de la maison ? Je n'en sais rien. Les sabots, allez, je jette. Sauf que je n'y arrive pas. Oui, je sais, c'est un peu idiot d'être aussi sentimentale, ma mère aruait dit que c'était de la mièvrerie et qu'elle avait horreur de ça. Je crois que ça m'a rendue un peu dure, parfois.

Et là, le carton ? Mais dis-moi, il n'y a pas aussi des choses dans le grenier ? Oui, tu as raison, ce sont des "choses". De vieilles choses. Là, ça fait carrément conserve, maintenant. Conserves de souvenirs. Souvenirs en conserve. D'accord, mais à quoi ça sert ? A rien. Juste que ça, je n'arrive pas à le jeter. Alors, ça reste. Ça encombre, il faut bien le dire. Mais sans tout cela, là, que reste-t-il ? Ce que j'avais commencé à y mettre, moi aussi. Et que je commence à déposer ailleurs. Je perds parfois complètement le sens de l'orientation.

Maman ?
- Oui ?
- On y va ?
- Oui.

En même temps que je tire les objets, j'en ai bien conscience, ce sont mes idées que je tente de trier. Ou plutôt, mes souvenirs. Faut-il trier les bons souvenirs des mauvais ? Jeter les mauvais ? Ou tenter encore d'en faire quelque chose ? J'aime bien recycler en général, surtout les souvenirs, on dirait. Il faudrait sans doute que j'arrête, que je passe à autre chose, que j'accepte de tourner la page. Surtout depuis que je suis maman. Il faut accepter d'aller de l'avant. C'est vrai, ça change quelque chose aussi de ce point de vue-là, de devenir maman. Parce que la question de ce qu'on garde ou non ne se pose plus vraiment seule. Il s'agit aussi de savoir ce qu'on transmet, ou non. Et comment. Quelle est la part des objets dans ce que nous avons à transmettre ?

Dehors, grand beau temps. Quoiqu'un peu de vent sur la plage. Mais tout de même, la baignade est plus que tentante. Vélo. Un peu plus loin, à peine, les enfants jouent. Jeux d'enfants sur la plage. Ça j'aime. Les rires, les ploufs dans l'eau, les courses, les enfants sur les trampolines. Ma fille.

Je reprends mon vélo. Le vélo est sans doute une de mes activités préférées en vacances (pas en ville, surtout). Vélo le long du front de mer. Un peu dans les dunes. Le soleil sur le sable. Contempler. Rouler. Se baigner. Et recommencer.

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Commentaires
J
touchante cette immersion dans le labyrinthe magique du souvenir. Je connais bien, moi aussi, ce contact charnel et fantomatique avec les objets, cette inaptitude absolue à "se débarrasser de", à liquider ce qui pourrait paraître le plus anodin, le plus futile à priori. Il faut se méfier de cette apparente légèreté des objets. Jeter est un geste qui semble facile mais si essentiel pourtant. On jette un dès à coudre et c'est des heures entières de vie qu'on dissout irrémédiablement, toutes ces heures passées à regarder notre mère repriser des chaussettes, acte si dérisoire. <br /> Lorsque j'étais enfant je jouais souvent avec un petit lapin en caoutchouc que j'avais eu gratuitement dans une boite de chocolat en poudre. Il y a quelque temps, je l'avais égaré. J'ai eu alors une irrépressible impression de manque, de mutilation. Ce fut passager mais tout de même...<br /> J'ai bien aimé ton effort de lucidité devant ce jaillissement fortuit ou provoqué du passé. Trier tout ce fouillis qui surgit parfois d'un rien est une opération bien délicate mais ce tri est-il vraiment nécessaire? Ce fatras improbable est sûrement une partie inaliénable de nous-mêmes, il nous construit ou nous détruit, à nous de choisir. Plus que trier, il s'agit peut-être de rebondir et comme tu le suggères, d'aller en avant. <br /> Touché, je l'ai été aussi par ce dialogue si lapidaire avec ta mère. Quelques mots à brûle pourpoint qui ressemblent à un appel. Certains souvenirs résonnent comme une claque brutale. Des mots d'une grande douceur deviennent des morsures cinglantes des années plus tard, parce que la vie leur a donné un autre sens et les a pervertis, comme dénaturés. <br /> J'ai bien aimé aussi ce retour subit à la réalité factuelle et surtout à une volonté farouche de reprendre ta respiration et de taper du pied au fond de l'eau pour remonter. Car c'est indéniable, dans ce jeu d'ondulations perpétuelles, c'est cela qui importe. Ce retour à la simplicité des événements et du quotidien marque ce refus d'abandonner, cette volonté de respirer. J'admire ce courage. Tu as cette clef qui ouvre tous les verrous et qui peut refermer presque toutes les plaies : ta fille. Etre mère te va très bien. Il me semble parfois que le bonheur est tout près, que je le frôle mais qu'il ne veut pas de moi, ou plutôt que je ne veux pas de lui. Je le cherche partout ou il n'est pas je le fuis partout où il pourrait être. <br /> Merci encore pour ces lignes où s'entremêlent simplicité, vérité, émotion et réflexion.
Louise, l'atelier
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