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Louise, l'atelier
18 septembre 2007

Quelque chose de la langue

Je ne sais ce que dit la langue (ce que disent les langues), si ce n'est le désir d'échanger, de transmettre, et de donner sens à ce qui autrement ne serait sans doute que nébuleuses opaques, grisailles et formes indistinctes. Car quelle que soit la forme que peut prendre une "langue", "maternelle" ou non, verbale ou non, si elle existe et est reconnue comme telle, c'est précisément parce qu'elle donne corps à ce qui sinon serait peut-être tout aussi "réel", mais resterait dans l'inconnu, le non-dit, le non-explicité. Or, l'implicite, lorsqu'il existe, est bien là pour être compris, entendu, alors même qu'il n'est pas "dit"...Il est une part de ce qui fait la complexité et la richesse des échanges, de la "communication", part à laquelle il est impossible d'échapper, quoiqu'on en dise...

Pas la seule, certes. Cette complexité provient aussi, entre autres, de la difficulté que nous éprouvons à nous accorder sur le(s) sens d'un même mot, d'une même expression, d'une même notion, difficulté qui parfois mine complètement le terrain des échanges : allez parler de "démocratie" avec un antidémocrate, de "beau", de "bien", de "liberté" ou de "bon sens" avec quelqu'un dont vous ne partagez que peu de convictions, il est probable que la conversation se résume à la nécessité d'une explication de texte (à moins qu'elle ne soit impossible pour cause de soudaine "surdité"), ou à un consensus béat, à proprement parler sidérant...

La tentation peut être grande, par conséquent, de ne "communiquer" que sur et avec certains mots, assez généraux, tellement généraux qu'ils peuvent en devenir complètement vides de sens. C'est pratique, cela donne l'impression de "bien parler", permet  de forger des consensus de surface auxquels il est si facile d'adhérer, et même, le cas échéant, de se poser en donneur de leçons ("Qu'est-ce que vous parlez mal !", plutôt que "Mais que voulez-vous dire ?") et de réaffirmer le pouvoir que le langage confère à celui qui sait le manier habilement...au détriment de ce qu'il y aurait vraiment à dire...

 

Car parler avec des mots vides de sens, c'est aussi empêcher l'autre de donner du sens à ce qui est dit, l'empêcher de comprendre en brouillant les repères nécessaires. C'est mettre en avant un artifice, pour masquer le vide. C'est renvoyer l'interlocuteur à ses propres vides, aussi, en le maintenant dans une position narcissique mortifère tout en lui tendant le miroir de Blanche-neige...Oui, vous êtes toujours le plus beau, la plus belle...puisque vous m'écoutez, et surtout, me comprenez...

 

Les discours politiques sont bien sûr un lieu privilégié (mais pas le seul) pour s'exercer à l'habileté rhétorique et utiliser ce pouvoir dans son propre intérêt, plutôt que pour le bien public. Mais les mots et les langues et les langages appartiennent bien à tous, y compris à ceux qui peinent à s'en servir ou qui ne "maîtrisent" pas une langue.
Or, si la langue est un pouvoir, ce pouvoir doit être partagé, quelle qu'en soit la difficulté.

 

A l'heure où il est question d'instaurer un test de langue pour pouvoir s'installer en France, où il est souvent question du niveau déplorable en français des élèves, où la "communication" (mais aussi ce qu'il en reste) va et tire plus vite que son ombre grâce à internet, où  les discours politiques se succèdent pour rendre "social" ce qui va se traduire par une augmentation du coût de la vie et de la santé et accroître les inégalités, je me dis qu'il est urgent de savoir ce que nous faisons de notre faculté de parler, de notre liberté de parole et de compréhension.

 

Parce qu'une langue, ça s'apprend.

Mais vous, comment aviez-vous compris : "Ensemble, tout est possible ?"

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Commentaires
P
Aprés lecture ma question est:Faut-il accepter tous les compromis en adoptant la langue de bois et par ce fait laisser faire, laisser croire que l'autre à toutes les cartes en mains et qu'il est tout puissant?.Ou, resister au risque de s'engluer et de perdre son énergie pour des causes jouées d'avance?<br /> Ma réponse, comme tu le s'oulignes trés justement est que tout est possible!Le meilleur comme le pire. En conséquence, ça vaut toujours la peine d'instaurer ne serait ce qu'un soupcon de doute pour celui qui pense sa parole comme universelle.La liberté se garde à ce prix.
J
Bonjour Louise,<br /> je ne crois pas à la langue seulement comme outil d'échange mais comme outil de perception, structurant notre intelligence même sans contexte de communication. Je crois que ce qui n'est pas nommé dans la langue n'est tout simplement pas réel.Plus exactement ne peut être perçu comme réel. Ex: nous n'avons pas idée de toutes les nuances de blanc que les hommes des pays de neige peuvent nommer et donc voir; nous en pressentons certaines, mais nous serions incapables de percevoir telle différence ténue qui pour d'autres est une évidence. De même, face à un artisan qui connaît son métier, n'ayant pas le vocabulaire, je ne vois pas la même chose que lui. Or, nommer, c'est faire advenir quelque chose à la réalité. Ainsi cet esprit des peuples qu'on traite avec méfiance est souvent intrinsèquement lié à la langue qui nommant fait naître une perception particulière: comment traduire "Sehnsucht", ou bien "Pudeur"? Quelle prise de conscience que de découvrir qu'en chinois le même idéogramme désignerait "Crise" et "Chance"! Appauvrir la langue, c'est appauvrir la réalité. Et on aura beau nous bassiner avec l'Europe, l'impossibilité pour la plupart des Européens d'apprendre une autre 1° langue que l'anglais (et quel anglais) crée un mouvement irréversible de perte de réalité de l'identité européenne (l'absence de perception de soi comme européen découle de l'absence de perception de l'autre -on est en train de tourner le dos au travail de plusieurs générations pour la réconciliation franco-allemande - mais cela vaut aussi pour la Belgique et, sans doute, pour toutes les langues refoulées)
F
Ce qui fait la richesse d'une langue, ce sont ses glissements, ses double-sens, ses bizarreries. N'est-ce pas tout cela qui rend possible la poésie, la littérature ?<br /> Quant à la politique, elle pratique à outrance la "langue de bois", vide de sens, opaque, et "la langue de marbre", une rhétorique figée et tournée sur elle-même.
Louise, l'atelier
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